Corruption et réforme en Tunisie: les dangers d'une analyse élitiste

[Picture taken by Corinna Mullin] [Picture taken by Corinna Mullin]

Corruption et réforme en Tunisie: les dangers d'une analyse élitiste

By : Max Gallien and Mohamed Dhia Hammami

Le 24 mai, une série d`arrestations de personnalités de haut rang a secoué la Tunisie. Un groupe d`hommes d`affaires éminents, des entrepreneurs dans l`économie parallèle, ainsi que des hauts fonctionnaires des services douaniers ont été arrêtés dans le cadre de ce que le chef du gouvernement Youssef Chahed a décrit comme le début d`une nouvelle guerre contre la corruption dans le pays. Randis que Chahed recevait beaucoup de louanges publiques après cette annonce, certains analystes ont décrit la répression soudaine comme une bascule du pouvoir dans un système où la politique anti-corruption et le développement économique sont de plus en plus le résultat de luttes intra-élites. [1] Cela est devenu un récit de  plus en plus populaire en Tunisie et une base analytique assez commode pour proposer des politiques supposées sortir le pays de la crise, alors que les protestations et les sit-in au Sud ont accru la pression sur les acteurs politiques nationaux. Cet article montre que cette perspective de «conflit entre élites» est impropre pour saisir les développements en Tunisie et une base risquée pour conceptualiser les réformes à venir. Cet article étudie un récent rapport de l`International Crisis Group, qui a été un contributeur particulièrement influent à la mise-en-récit de ce conflit entre élites. Sur la base d`un travail de terrain intensif dans le sud de la Tunisie et d`une vaste expérience de recherche sur la corruption au niveau national, nous montrons que le rapport de l`ICG présente un compte rendu simpliste, élitiste et finalement inexact de la situation actuelle du pays. En outre, nous illustrons comment certaines des politiques clés proposées par l`ICG (mais aussi la Banque mondiale et la présidence du pays) reproduisent les failles de cette analyse. Finalement, nous proposons une approche alternative afin de lutter contre la corruption et répondre au mouvement de protestation en cours dans le pays. 

Le conflit entre élites pour expliquer la corruption et le régionalisme en Tunisie

Le 10 mai, l`International Crisis Group a publié un nouveau rapport sur les défis socio-politiques en Tunisie, intitulé: "Transition bloquée: corruption et régionalisme en Tunisie ". [2] Il fait valoir que la crise actuelle du pays, le débat national sur la corruption ainsi que les vagues des protestations dans les régions du sud et de l`intérieur sont le résultat d`une confrontation entre les élites économiques traditionnelles du nord de la Tunisie et les élites émergentes du sud du pays, qui ont été enrichies par l`économie de contrebande. Par conséquent, pour faire face à la crise, le rapport appelle à une nouvelle forme de dialogue économique et à l`intégration de l`élite économique du sud dans un cadre économique national. D`une certaine manière, ce n`est pas surprenant que l`ICG ait tendance à voir une crise socio-économique comme une confrontation entre groupes concurrents. Après tout, leur objectif est de « prévenir, résoudre ou mieux gérer les conflits mortels » [3]. Néanmoins, ce n`est pas sans conséquences sur les débats politiques tunisiens. Alors que l`ICG est devenue une voix influente dans la vie politique du pays, la « perspective d`un conflit entre élites » s`est progressivement imposée dans les débats publics.

Pourtant, l`analyse de l`ICG sur les problèmes socio-politiques de la Tunisie est très simpliste et fondamentalement élitiste. Le rapport estime que les troubles actuels s`expliquent en grande partie par l`exclusion des élites économiques du sud du grand marché tunisien. La question complexe de l`inégalité régionale est donc réduite à une question de concurrence entre élites: les hommes d`affaires du nord et ceux du sud se battent, et le résultat est une souffrance plus grande pour la Tunisie. Pour soutenir cet argument, il faudrait montrer que les nouvelles élites économiques du sud, les trafiquants en particulier, sont directement connectés à l`agitation actuelle. Une affirmation cruciale du rapport est que les protestations qui gagnent en ampleur dans le sud et l`intérieur sont soutenues activement par des figures de « l`économie souterraine ». C`est une affirmation incroyablement audacieuse, basée sur un seul activiste anonyme interviewé à Tunis. Mais l`ICG soutient ce point de vue, car il constitue une preuve cruciale pour son argument général. Afin de justifier l`idée selon laquelle une négociation d`élite est la solution à un grand problème social, les élites doivent être en mesure d`arrêter et contrôler les mouvements sociaux par leur influence. Le rapport cherche à prouver que le problème du sud - et toute solution potentielle - réside dans ses élites économiques. C`est là que réside l`erreur et le danger de l`approche de l`ICG: les enjeux sociaux et économiques dans le sud de la Tunisie ne peuvent pas être réduit à des trafiquants ambitieux et des émeutiers payés. Les élites du Nord ne peuvent être toutes assimilées à une mafia économique qui veut à tout prix protéger ses privilèges. Et plus important même: rassembler ces groupes ne résoudra probablement pas les problèmes sociopolitiques de la Tunisie. Cela ne fera rien en tout cas pour calmer les protestations puisque les individus qui protestent actuellement seront toujours complètement exclus. L`inclusion des élites n`est pas équivalente à une inclusion réelle.

Les protestations dans le sud de la Tunisie ne sont pas contrôlées par des trafiquants

Dès le début, les experts ont essayé de discréditer la récente vague de protestations en Tunisie en les qualifiant de masses manipulées ou payées par différentes élites politico-économiques. En les reliant aux grands trafiquants du sud de la Tunisie, ICG reproduit ce discours regrettable et simpliste. Il n`est sûrement pas faux de dire que certains entrepreneurs économiques à Sfax, Ben Guerdane ou Tataouine, se sentent exclus du marché économique national et marginalisés par l`Etat. Cependant, ce groupe est très diversifié. En d`autres termes, il est impossible de parler de l`élite du sud comme d`une entité homogène puisque le système économique formel (et informel) local comprend des élites anciennes et nouvelles, rurales et urbaines. Il englobe des trafiquants à grande échelle ayant de solides contacts à Tunis et d`autres dont les contacts sont situés à Tripoli ou Pékin. Au milieu, il y a une importante « classe moyenne » de trafiquants, qui ne travaille pour aucun de ces patrons et ne partage pas nécessairement leurs visions ou intérêts.

Il n`y a donc pas de moyen clair et unique d`envisager l`inclusion de ces élites du sud, ni même de moyen de mesurer la réalité de leur exclusion, comme le rapport le réclame. L`idée d`inclusion régionale a été couramment utilisée depuis la révolution. Les mouvements sociaux et les manifestations ont dénoncé l`exclusion et de nombreuses solutions ont été suggérées afin d`ouvrir le système existant aux groupes marginalisés. À l`instar de la rhétorique sur la « croissance inclusive », présentée comme une réponse à l`écart entre les régions intérieures et les régions côtières, l`inclusion de l`élite du sud est présentée comme une manière d`empêcher que la concurrence pour le contrôle de l`État entre groupes régionaux n`évolue vers un conflit violent. Cependant, le terme « inclusion » (en arabe إدماج - Idmaj) est presque absent de la langue utilisée par les mouvements sociaux. À l`exception de ceux qui se trouvent dans une situation critique et demande un emploi immédiat parce qu`ils ne peuvent pas attendre de réformes sur le long terme, les gens demandent un changement systémique qui permettra une intégration verticale des groupes sans emploi et à faible revenu. Cela vaut d`ailleurs pour le sud comme pour le nord.

Un regard plus détaillé sur la structuration du commerce informel dans le sud de la Tunisie montre que, plutôt que de parler d`une division nord-sud, il serait plus approprié de parler d`un marché national segmenté - entre les types des produits, les qualités et les zones de distribution. De même, les spéculations sur les alliances entre les trafiquants et certains partis politiques devraient également être plus mesurées. Elles sont néanmoins devenues un élément récurrent des campagnes politiques, généralement sans être étayées de preuves. Ennahda, le parti conservateur tunisien, a notamment souffert de ces allégations après avoir remporté la grande majorité des votes dans les régions frontalières du sud de la Tunisie. Le rapport ICG n`échappe pas à ce type de raccourcis quand il cite un ancien responsable du RCD de Ben Ali, lequel accuse Ennahda d`encourager le trafic afin de « créer ses propres capitalistes »[4]. Une affirmation que l`auteur du rapport ne questionne pas. Il est certain que Ennahda n`est pas désireux de compromettre sa position en adoptant une attitude hostile à l`égard d`un secteur économique dominant de la région[5]. Cependant, la tolérance tacite du commerce informel dans le sud de la Tunisie n`est pas propre à Ennahda - c`est la politique de l`Etat tunisien depuis plusieurs décennies, à quelques exceptions près. Cette politique a été maintenue et finement étalonnée avec l`aide de gouverneurs et de ministres de divers partis, dont le RCD et Nidaa Tounes. Cette approche prudente est justifiée par des préoccupations concernant la sécurité, les troubles sociaux, le pouvoir d`achat et la gestion de la situation actuelle en Libye plutôt que par des orientations partisanes.

Par ailleurs, il est peu probable que certains trafiquants soutiennent les manifestations actuelles à Kef, Tataouine ou Kairouan. Ainsi, supposer pareil soutien financier sans présenter de preuves n`est pas sans renvoyer à une forme de théorie du complot. En outre, l`idée que ces manifestations prendraient fin sans le soutien actif des trafiquants locaux traduit une représentation erronée des origines du mécontentement. Les manifestants dénoncent les problèmes sociaux, la marginalisation et une répartition inégale des ressources et des opportunités. Il est donc peu probable qu`ils s`arrêtent juste parce que les élites locales obtiennent une partie du gâteau. L`économie informelle dans le sud de la Tunisie a autorisé une vaste accumulation de richesses, mais elle a également créé des modèles d`exploitation et dépossession. La soi-disant classe moyenne des trafiquants se rétrécit, et la question de l`exclusion économique et du rôle joué par les « gros poissons » locaux attise les divisions. En effet, de nombreux jeunes commerçants suspectent la richesse de leurs voisins. Ils peuvent coopérer pour porter des revendications communes - comme ils l`ont fait en 2016, lorsque les acteurs du commerce informel ont soutenu un camp de protestation installé à Ben Guerdane. Cependant, partir de ces alliances temporaires pour postuler l`existence d`un bloc cohérent avec des intérêts similaires, voire pire, supposer que la cooptation ou la répression de l`élite économique locale mettrait fin à ces manifestations, voilà des simplifications flagrantes de la situation dans le sud de la Tunisie.

Oppositions géographiques

Pour expliquer la montée des tensions politiques, le rapport s`appuie aussi sur une division entre le nord et le sud qui remplace commodément l`ancienne dichotomie islamiste/laïc. Selon l`ICG, une confrontation entre la nouvelle élite commerciale émergente du sud et l`ancienne élite commerciale basée dans les régions économiquement développées du nord-est, est au cœur des troubles actuels. L`écart de richesse indéniable entre les régions côtières et intérieures est certainement une des raisons du mouvement de contestation. Cependant, cela ne peut pas expliquer le nombre élevé de manifestations ayant eu lieu ces derniers mois dans les deux principaux gouvernorats côtiers de Tunis et Sfax. En d`autres termes, les tensions politiques récentes ne peuvent être résumées à une mobilisation des « personnes des régions intérieures » qui s`opposeraient aux régions côtières. L`existence d`une instabilité sociale dans un « nord » généralement perçu comme une région homogène et prospère en opposition avec le « sud » historiquement oublié montre que la crise est généralisée. Afin de comprendre les causes réelles des troubles socio-politiques, il faut regarder au-delà des divisions régionales simplistes. Le soi-disant « nord » est un espace géographique complexe. Il contient à la fois des quartiers riches, des quartiers d`affaires, des zones industrielles, des zones touristiques, des banlieues saturées, des villages éloignés et des zones rurales.

Il semble difficile de dire que le comportement oligopolistique de l`élite économique soutenue par Nidaa au nord est de se protéger d`une nouvelle classe d`entrepreneurs montants. Ces derniers proviennent généralement de régions intérieures qui prospèrent grâce à la croissance du trafic transfrontalier illégal. Mais il est impossible de dire que la contrebande est une activité monopolisée par les hommes d`affaires du sud à moins d`ignorer les liens forts entre le trafic transfrontalier et les hommes d`affaires établis au nord qui en bénéficient directement ou indirectement. Il existe une symbiose claire entre les secteurs formels et informels, dans le nord et le sud. Les acteurs économiques du nord et du sud ne sont pas seulement en concurrence. Les institutions financières, appartenant à de grandes familles d`affaires, fournissent aux trafiquants un soutien logistique, par exemple des véhicules loués. Les branches des banques situées dans les régions frontalières bénéficient de la liquidité fournie par les trafiquants des frontières. De même, on peut aussi noter que les accords informels entre trafiquants et agents frontaliers ont toujours concerné des produits spécifiques afin d`éviter d`entrer en concurrence avec d`importants importateurs formels. En bref, la relation entre les secteurs formel et informel de l`économie tunisienne est beaucoup moins conflictuelle que l`image dépeinte par le rapport de l`ICG. Il existe même des formes de connivence.

Ayant vu les limites de l`analyse sur lequel est fondé le rapport, la deuxième moitié de l`article présente une critique des recommandations politiques présentées pour répondre aux défis sociopolitiques auxquels la Tunisie doit faire face. Comme nous le soutenons ici, les approches suggérées dans le rapport sont peu susceptibles d’améliorer le développement, la justice sociale ou la stabilité des régions intérieures du pays.

Corruption et "Dialogue national"

Le rapport ICG s`inscrit dans le cadre du débat public sur la corruption. À l`instar de ses précédents rapports, l`ICG préconise ici une large loi de réconciliation économique financière qui profiterait non seulement aux fonctionnaires et aux acteurs commerciaux ayant été impliqués dans une série de scandales financiers, mais aussi aux trafiquants transfrontaliers. Une des principales différences entre le nouveau rapport intitulé «Transition bloquée: corruption et régionalisme en Tunisie » et le dernier rapport sur « La justice transitoire et la lutte contre la corruption » publié il y a un an, est la stratégie recommandée. Au-delà des recommandations déjà adoptées dans le droit national ou suggérées par de nombreux acteurs politiques - comme le renforcement de la commission nationale de lutte contre la corruption ou la validation des bilans financiers des partis politiques par la Cour des comptes - le rapport suggère deux autres mesures: l`adoption d`une loi réglementant le lobbying économique et la suppression des dispositions répressives du Code pénal. Enfin, ce rapport introduit aussi l`idée d`un « dialogue économique national ».

La fonction principale de ce dialogue est de lancer un processus de réconciliation entre élites économiques anciennes et émergentes. Le rapport n`explique pas pourquoi ce dialogue devrait réussir et ne donne pas non plus une idée claire quant à la nature des politiques économiques qui devraient être discutées. En 2014, le gouvernement de Mehdi Jomaa a essayé de lancer un débat national sur les politiques économiques afin de bâtir un consensus autour des réformes à venir, mais cette initiative n`a pas atteint son objectif. Pourquoi un nouveau processus comprenant plus d`acteurs avec des visions politiques et économiques divergentes, aurait-il plus de succès?

Comme mentionné précédemment, le rapport examine la situation actuelle à travers le prisme d’un conflit d`élite. Pourtant, même vu sous l’angle de la prévention d`un tel conflit, l`idée d`un dialogue national est optimiste. Si des acteurs politiques concurrents ont pu se rassembler autour de la même table en 2013, c`était principalement en raison du contexte de crise faisant suite à l`assassinat du député pan-arabiste Mohamed Brahmi, quelques mois après l`assassinat du leader de gauche Chokri Belaid. La situation en 2017 est nettement différente. Aujourd`hui, les acteurs contestant la loi de réconciliation économique, protestant contre le chômage ou même demandant une meilleure gestion et une redistribution des richesses sont des groupes informels, d`activistes ayant une organisation horizontale. Ils forment un mouvement social avec des structures en réseau non-hiérarchiques qui ne rivalisent pas avec l’élite dirigeante pour des positions politiques formelles. Ils ne s`intéressent donc pas à la construction d`un consensus selon la forme classique vue en 2013.

Sur le plan économique, les auteurs du rapport affirment que le dialogue économique national « rendra la concurrence économique nationale plus ouverte et transparente »[6] aux nouveaux acteurs venus de l`intérieur. Dans un cadre ouvert et une économie compétitive, les élites seraient en mesure de synchroniser leurs efforts et d`investir dans le développement des régions intérieures. En présentant cette recommandation, le rapport semble ignorer le fait que cette décision d`investir coordonnée formellement par un collectif d`entreprises est, par définition, une forme de collusion. Ces pratiques sont illégales parce que anticoncurrentiels. De plus, la création de cartels provoque en théorie un dysfonctionnement de l`économie de marché et est préjudiciable aux consommateurs, car elles augmentent les inégalités économiques [7]. En outre, il est impossible de prévoir le comportement des investisseurs et l`impact de la réconciliation, sur l`économie tunisienne, qui se caractérise par un grand secteur sous-régional en plein essor. En bref, les résultats de ce dialogue économique national sont pour le moins incertains et imprévisibles.

Le principal problème de l`approche de l`ICG, cependant, est la normalisation de la corruption et de la criminalité financière. Il réduit la corruption à ses dimensions juridiques et politiques et ignore son caractère moral et ses aspects économiques. Vu comme un problème moral par un grand nombre de Tunisiens, la corruption des élites politiques et économiques dominantes a entraîné une perte de confiance généralisée dans le système. Le danger de dé-légitimer l`état post-révolutionnaire aux yeux de bon nombre de ses citoyens ne doit pas être sous-estimé, surtout si celui-ci tente d`engager des réformes économiques. La création d`un cadre juridique pour le « lobbying économique » [8] risque ainsi de donner une couverture légale pour la corruption politique et empêcherait donc la construction d`un système politique stabilisé. Les expériences des États-Unis et l`Union européenne en termes de transparence de la vie publique et de publication d`informations concernant les investissements des lobbyistes n`ont visiblement pas résolu ce problème.

En outre, si l`existence de mesures punitives pour les fonctionnaires publics corrompus ne les a pas dissuadés de se livrer à la corruption, il n`est pas évident que l’élimination des sanctions fortes suggérée dans le rapport changera leur comportement. Et même si nous nous limitons à la dimension juridique de la corruption, les recommandations de l`ICG sont incompatibles avec l’ordre légal international dont la Tunisie fait partie. En proposant l`amnistie comme solution possible à l`impasse actuelle, le rapport ignore enfin le fait que cette approche a déjà été essayée (par exemple dans la loi financière de 2016) avec peu de résultats. Pardonner les crimes commis par le passé n`empêchera pas les grands acteurs du trafic transfrontalier de répéter leurs pratiques illégales.

Plutôt que de suivre des approches incitatives inefficaces visant avant tout à limiter le risque d`une montée de la violence, le gouvernement devrait comprendre les nombreuses raisons qui conduisent les « trafiquants parallèles » à avoir recours à ces pratiques. La création de nouveaux canaux pour faciliter l`importation légale des biens devrait être sérieusement prise en considération. Toute modification des structures réglementaires du commerce illicite devrait également aller de pair avec la création d`une économie alternative pour les régions frontalières. Il est vrai que de nombreux « commerçants parallèles » dans les régions frontalières de la Tunisie utilisent les trafics transfrontaliers pour gagner des dizaines de dinars par jour. Mais d`autres n`ont pas d`autre choix que d`acheter et de vendre des marchandises dans le Souk Libya pour subsister. Ainsi, mettre ces acteurs mineurs dans la même catégorie que les barons locaux serait une grave erreur stratégique. Un groupe a besoin d`aide, l`autre appelle une régulation. La véritable menace provient de réseaux structurés construits par les milliardaires qui ne sont pas nécessairement habitants des régions frontalières.

Quand les Tunisiens utilisent le mot « mafia », il ne faut pas l`entendre comme une métaphore mais bien comme un synonyme de «groupe criminel organisé». Lorsqu`ils parlent du contrôle des « leviers de l’administration » par des acteurs économiques privés corrompus, ou décrivent leur état comme « mangé par les acariens », ils se réfèrent à l`illégalité des pratiques utilisées par la criminalité organisée pour contrôler les institutions afin de gagner du pouvoir et faire un profit. Dans une situation où les réseaux criminels organisés infiltrent toutes les institutions étatiques (ministère de l`Intérieur, douanes, système judiciaire, etc.) et inhibent leur capacité à réguler l`économie et imposer l`état de droit, la corruption ne peut plus être tolérée. Et elle devra être combattue par d`autres moyens que le dialogue et le pardon. Nous ne sommes pas dans une situation de « capture de l`État » traditionnelle, où les acteurs économiques privés parviennent à influencer l`action de l`État pour maximiser le profit économique. Dans le contexte de la réforme de l`état pour construire une démocratie, le respect de la règle de droit est essentiel pour limiter « l`action d`organisations illégales qui, par des pratiques illégitimes, cherchent systématiquement à modifier le régime politique et influencer [...] les politiques publiques. »[9] Permettre aux milliardaires qui ont accumulé illégalement leur richesse de formaliser leurs avantages et de renforcer leur contrôle sur les institutions politiques fait écho aux pratiques de l`ancienne élite tunisienne. Cela répète ainsi les erreurs passées. Cela ne peut être qu`en inadéquation avec les normes juridiques internationales et mettre en danger le processus de construction de la démocratie.

Routine de la Banque mondiale: crédit, déréglementation, paperasse...

La section du rapport qui traite de la « mécanique d`exclusion » reflète un bon nombre des problèmes qui ont été communément soulevés par la Banque mondiale et d`autres institutions internationales. Elle décrit les problèmes rencontrés par de nombreux Tunisiens pour accéder au crédit et discute du pouvoir discrétionnaire excessif de l`appareil administratif. Ces deux aspects sont des préoccupations légitimes, et des domaines où, comme le souligne à juste titre le rapport, la réglementation a été utilisée pour limiter l`accès à la sphère économique formelle. En appeler à une déréglementation afin de « dépolitiser l`économie » et créer ainsi un nouvel espace économique semble donc relativement intuitif.

Cependant, ces approches sont à nouveau trop simplistes. Elles ignorent l`héritage des accumulations successives et négligent les inégalités créées au cours des décennies passées. Un environnement économique moins réglementé présentera ainsi de nouvelles opportunités pour ceux qui sont prêts à les saisir. Il présentera également d`énormes risques pour ceux qui ne sont pas équipés de certaines compétences, en particulier en termes d’accès au crédit. Dans le sud de la Tunisie, l`importante résistance de nombreuses personnes à l`égard de tout système de crédit doit être prise en considération. Mais dans des pays comme l`Inde ou le Bangladesh, où cela n`est pas forcément un aussi gros problème, l`expérience montre que les effets sur le développement de l’accès au crédit ont été énormément exagérés. Tout le monde n`est tout simplement pas un entrepreneur. Tout le monde n`a pas de « business plan ».

Les entrepreneurs eux-mêmes auront besoin de bien plus qu`un simple accès au crédit et un retrait des obstacles réglementaires pour réussir. Pour une génération de jeunes tunisiens qui manquent aussi de savoir-faire, d’infrastructures physiques et virtuelles, de connexions internationales et de capital social pour pénétrer les réseaux de l`élite économique, lever les barrières et déréguler ne suffira pas. Ces personnes auront besoin d’un levier, sous la forme d`investissements massifs de l`État. Il faut une économie d’infrastructure qui crée des emplois plutôt que de demander aux gens de créer le leur. Ces mesures devront relever les défis spécifiques du sud - il faudra une stratégie éducative pour le taux élevé de jeunes qui ont quitté l`école à un âge précoce pour rejoindre le commerce et la contrebande, et une stratégie pour surmonter les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées en entrant dans le secteur privé local. Il faudra également une politique de développement des infrastructures - l`expérience récente dans les régions frontalières du nord du Maroc est un bon exemple de ce qui pourrait être réalisé. La question est donc la suivante: qui, dans la grande négociation des élites proposée par l`ICG, portera ces demandes ? Qui défendra les intérêts de ceux qui sont loin du pouvoir? Les limites de l`idée d`une « économie dépolitisée » commencent à apparaître. Plutôt que de réduire les mesures de contrôle, une grande transformation économique sera nécessaire pour aider les acteurs marginalisés. Cela impliquera nécessairement une dimension politique.

Compte tenu de l’importance accordée aux élites dans es recommandations, l`ICG semble optimiste quant à la capacité d`un système réformé à étendre ses avantages à l`ensemble de la population. Néanmoins, il ne démontre pas que l`inclusion de nouvelles élites dans le « cercle de 300 », qu`elles soient du sud ou d`ailleurs, pourra effectivement rendre ce groupe plus susceptible de prendre en compte les intérêts des 11 millions d`individus qui constituent le reste de la population tunisienne. Encore une fois, ce modèle manque sérieusement d`un projet de réglementation forte et organisée, et d’acteurs politiques en mesure de porter ces demandes.

Conclusion

Comme nous l`avons soutenu, le principal problème avec le récent rapport de l`International Crisis Group sur la Tunisie réside dans sa représentation simpliste de la situation sociopolitique actuelle comme résultant d`une confrontation entre deux élites – venues respectivement du sud et nord. Ses recommandations politiques ne reposent donc pas sur des arguments convaincants, ce qui soulèvera des difficultés. Ainsi, l`ICG place une énorme confiance dans le pouvoir curatif d`un dialogue entre acteurs qu’il perçoit être en concurrence économique. Les effets secondaires de ces recommandations sont cependant importants, puisqu`ils incluent la très impopulaire idée d`une réconciliation économique, une approche incohérente et contre-productive de la lutte contre la corruption et un passage obligatoire par la dérégulation.

De même que la « Guerre contre la corruption » de Youssef Chahed ne se concentre que sur l’arrestation d`un groupe restreint de trafiquants corrompus, les recommandations du rapport de l`ICG laisse de nombreuses causes profondes du malaise actuel de la Tunisie sans réponse: le manque d`une stratégie de développement globale pour les régions du sud et l`intérieur, la nécessité de réformes économiques et éducatives, et l`absence d`un système de réglementation qui puisse obliger les élites économiques à jouer selon les règles. Aborder toutes ces questions passera nécessairement par un processus politique. Pour cette raison, nous ne devrions pas être si prompts à souhaiter la dépolitisation de l`économie.

[1] L`article suivant se réfère par exemple directement à l`ICG: http://www.lecourrierdelatlas.com/tunisie-corruption-vague-d-arrestations-une-guerre-contre-les-%C2%AB-nouveaux-riches-%C2%BB--8318

[2] Pour un résumé en anglais et la version complète en français, voir ici: https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/north-africa/tunisia/177-blocked-transition-corruption-and-regionalism-tunisia

[3] https://www.crisisgroup.org/who-we-are

[4] La citation est située à la page 7 du rapport.

[5] Pour une analyse détaillée de cet aspect, voir Hamza Meddeb, « Rente frontalière et injustice sociale » in Meddeb, Hibou and Tozy, L’État d’injustice au Maghreb, Karthala, 2016 

[6] La citation est située à la page 22 du rapport.

[8] la citation est située à la page 21 du rapport pour décrire l`influence des acteurs économiques sur la prise de décision.

[9] From State Capture towards the Co-opted State Reconfiguration: An Analytical Synthesis http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1410865

Corruption and Reform in Tunisia: The Dangers of an Elitist Analysis

On May 24th, a wave of high-profile arrests rocked Tunisia. A range of prominent businessmen, entrepreneurs in the parallel economy, as well as high-ranking officials in the customs services were arrested in what the Head of the Government Youssef Chahed described as the beginning of a new crack-down on corruption in the country. While Chahed received much public applause for this announcement, analysts have begun framing the sudden crackdown as a power move in a political system in which both anti-corruption policy and economic development are increasingly framed as the results of intra-elite struggles.[1] This has become an increasingly popular narrative in Tunisia, and a popular analytical basis to propose policies that can move the country out of its current crisis, as protests and sit-ins in Southern Tunisia have increased the pressure on national politics. This article argues that this “elite conflict” perspective is an inaccurate framing of the developments in Tunisia, and a highly dangerous foundation for proposals advocating reform. This article studies a recent report by the International Crisis Group, which has been a particularly influential and widely cited contributor to this narrative of elite conflict. Based on intensive fieldwork in Southern Tunisia, and extensive experience researching national-level corruption, we argue that ICG’s report presents a simplistic, elitist, and grossly misleading account of the current situation in the country. Furthermore, we illustrate how some of the key policies that have been proposed by ICG, as well as the World Bank and the country’s Presidency, are largely based on this analysis. In conclusion, we propose an alternative approach to fighting corruption and addressing the ongoing protests in the country.

An Elite Conflict Perspective on Corruption and Regionalism in Tunisia

On May 10th, the International Crisis Group published a new country report on the socio-political challenges in Tunisia, titled: “Blocked Transition: Corruption and Regionalism in Tunisia”.[2] It argues that the country’s current crisis, the national debate about corruption as well as the waves of protests in its Southern and Interior regions are the result of a confrontation between the traditional economic elites of Northern Tunisia and the emergent elites of the country’s South, who are fueled by the large contraband economy. Hence, to address the crisis, the report calls for a new form of national economic dialogue, and the integration of the Southern economic elite into the country’s economic framework. In a way, it is unsurprising that that the ICG tends to see political crisis as the result of a confrontation between different competing groups. After all, their stated goal is to “prevent, resolve or better manage deadly conflict”[3]. Nevertheless, this is not without consequences for the political discourse on Tunisia. As the ICG has become a highly influential voice in Tunisian politics, the ‘elite conflict perspective’ has become increasingly commonplace in political discussions. 

The ICG’s analysis of Tunisia’s current socio-political problems is highly simplistic and fundamentally elitist. The report argues that the current unrest in Southern Tunisia is largely due to the exclusion of Southern economic elites from the grand bargain of Tunisian politics. It takes the complex issue of regional inequality and reduces it to an issue of elite competition: the businessmen of the North, and the businessmen of the South are fighting, and the result is greater suffering for Tunisia. In order for this argument to be convincing, it would need to show that the new economic elites of Tunisia’s South, and smugglers in particular, are directly connected to the current unrest. A crucial claim of the report is that the large protests that are currently gaining momentum in the South and Interior are primarily the result of ‘sponsors’ from the ‘underground economy’. This is an incredibly bold claim, based on one single anonymous activist interviewed in Tunis. But the ICG support this view, as it is crucial evidence for their overall argument. To present an elite bargain as a solution to a large social problem, the elites need to be able to stoke and suppress social protests through their influence. The report seeks to prove that the problem of the South - and any potential solution - lie with its elites. Here lies the mistake, and the danger of ICG’s approach: social and economic networks in Southern Tunisia cannot be reduced to ambitious smugglers and paid rioters. Its Northern elites cannot be reduced to a single economic mafia that is hell-bent on protecting their privileges. And most crucially: bringing these groups together will do nothing to solve Tunisia’s socio-political problems. It will do nothing to calm the protests, because the people protesting would still be entirely shut out. Elite inclusion is not the same as real inclusion.

Southern Tunisia’s protests are not controlled by smugglers

From the start, pundits have tried to discredit the recent wave of protests in Tunisia by framing them as the paid goons of the elite political boogeyman of their choosing. By connecting them to the smuggling barons of Southern Tunisia, ICG follows this regrettable discourse. It is surely not entirely mistaken that there are certain economic entrepreneurs in Sfax, Ben Guerdane or Tataouine, who are feeling left out of the national economic bargain, and have been marginalized by the state. However, this group is incredibly diverse. In other words, it is impossible to talk about the Southern elite as a singular entity since the formal (and informal) economic system of the South includes old and new elites and encompasses rural and urban divides. It draws on some large-scale smugglers with strong connections to Tunis, and others with strong connections to Tripoli, or to Beijing. In between, there is a sizeable ‘Middle Class’ of contrebandiers, who do not work for any of the bosses, and do not necessarily share their visions or interests.

It is thus unclear how one could envision the inclusion of these ‘Southern Elites’, and the extent to which they are currently ‘shut out’, as the report claims. The idea of regional inclusion has been commonly used since the revolution. Social movements and protests have frequently been framed as calls for an “inclusion”, and many solutions were suggested to open the existing system to marginalized groups. Similar to the rhetoric about "inclusive growth", presented as an answer to the discrepancy between the interior regions and the coastal regions, the inclusion of the “Southern elite” is presented as a way to keep the competition between groups located in different regions over the control of the State from turning into a violent conflict. However, the term “inclusion” (in Arabic إدماج - Idmaj) is almost absent from the language used by the social movements. Apart from those who find themselves in a critical situation and ask for immediate employment because they cannot wait for long-term reforms, people are asking for a systemic change that allows a vertical integration of both unemployed and low-income groups. This is true whether these individuals are in the South or in the North.

A more detailed look at how informal trade in Southern Tunisia is structured shows that rather than speak of a North-South divide, it would be more appropriate to speak of a national market that is segmented - between product types, qualities, and distribution areas. Similarly, speculations about the alliances between smugglers and certain political parties should also be taken with a grain of salt. They have become a trademark element of political smear campaigns, usually unsubstantiated by evidence. Ennahda, Tunisia’s conservative party has borne the brunt of these allegations after they won the vast majority of the votes in Tunisia’s Southern borderlands. The ICG report also features an example of this, when it quotes a former official of Ben Ali’s party RCD, speculating that Ennahda encourages smuggling in order to “create its own capitalists”[4]. The quote is then left entirely unchallenged by the author.

It is certainly true that Ennahda is not eager to compromise its position by taking a hostile stance towards the region’s dominant economic sector.[5] However, a tacit tolerance of informal trade in Southern Tunisia is not Ennahda policy - it is the policy of the Tunisian state, and has been, with few interruptions, for the past decades. This policy has been maintained and finely calibrated with the help of governors and ministers from a variety of parties, including the RCD and Nidaa Tounes. It is a policy field that is dominated by concerns about security, social unrest, purchasing power, and the management of the current situation in Libya rather than by the struggles of party politics.

It is not unlikely that some smugglers are supportive of the current protests in Kef, Tataouine, or Kairouan. However, claiming that they are financially supporting these protests without presenting any evidence is a dangerous brush with conspiracy theory.  Furthermore, the notion that these protests would end without the support of local smugglers is a gross misrepresentation of the nature of the source of discontent. Protesters are decrying social marginalization and an unequal distribution of resources and opportunities. They are thus unlikely to stop just because their local elites are getting a piece of the pie. The informal economy in Tunisia’s South has created vast accumulations of wealth, but it has also created patterns of exploitation and dispossession. The so-called middle class of smugglers is shrinking, and the issue of economic exclusion and the role that local ‘big fish’ are playing in this process is hotly contested locally. Indeed, many young traders view the wealth of their neighbors with great suspicion. They may cooperate at times around common demands - as they did in 2016, when informal trade actors supported the protest camp in Ben Guerdane. However, to use temporary alliances to assume the existence of a coherent block with similar interests, or even worse, to assume that the co-optation or arrest of a local economic elite would end these protests, is a gross simplification of the situation in the South.

Geographical Oppositions

In order to explain the rise of political tensions, the report relies heavily on a new simplistic divide between the North and the South replacing the older Islamic/secular simplistic divide. According to the ICG, a confrontation between the new emerging business elite based in the South and the old traditional business elite based in the economically developed regions of the North-East lies at the heart of the current unrest. The undeniable discrepancy between the coast and the interior regions is certainly a source of grievances for protesters. However, it cannot explain the high number of protests in the two main coastal governorates of Tunis and Sfax that we have seen during the last few months. In other words, the recent rise of political tensions cannot be described as a mobilization of the “people of the interior regions” who are opposed to the coastal elite regions. The existence of social instability in a “North” commonly perceived as a homogeneous prosperous region in opposition with the historically forgotten “South” shows that the crisis is generalized. In order to understand the real causes of the socio-political unrest, we should look beyond the very simplistic regional divide use by ICG and see the so-called “North” as a much more complex geographical unit. It contains at the same time rich neighborhoods, business districts, industrial zones, touristic areas, commuter towns, crowded suburbs, remote villages, and rural areas.

If we take into consideration the struggle of the new Northern “start-up” entrepreneurs to enter the market, it is difficult to say that the purpose of oligopolistic behavior of the Northern Nidaa-supported economic elite is to protect itself from the new class of entrepreneurs. These latter actors generally come from interior regions which are thriving from the growth of illegal transborder traffic. It’s impossible to assume that smuggling is an activity monopolized by Southern businessmen unless we ignore the strong ties between transborder traffic and the Northern established businessman who benefit directly or indirectly from it. There is a clear symbiosis between formal and informal sectors. Given that financial institutions, owned by business families, provide smugglers with logistic support like leased vehicles, and that branches of banks based in the border regions benefit from the liquidity provided by border traffickers, we can only conclude that the relation between Northern and Southern business groups are not in direct confrontational competition. Similarly, one might also note that the informal procedures between smugglers and border agents have always targeted specific products in order to avoid competition with important formal importers. In conclusion, the relationship between the formal and informal sectors of the Tunisian economy is much less conflictual than the image portrayed by the ICG report.

Having seen the limits of the analysis of the current situation in Tunisia as its presented in the ICG report, the second half of the article presents a critique to the policy recommendations proposed as a solution to Tunisia’s socio-political challenges. As we argue here, the approaches suggested in the report are unlikely to bring development, social justice, or stability to Tunisia’s interior regions.

Corruption and “National Dialogue”

The ICG report fits within the increasingly popular debate on corruption. Similar to its previous reports, the ICG advocates for an extensive economic and financial reconciliation law that would benefit not only the public officials and business actors who have been implicated in a wide range of financial crimes, but also cross-border traffickers. One of the main differences between the new report on “Blocked Transition: Corruption and Regionalism in Tunisia” and the last report on “Transitional Justice and the Fight Against Corruption” published one year ago, is the recommended strategy for combating corruption. Apart from the recommendations already adopted in the national law or suggested by numerous political actors - such as the strengthening of the National Anti-Corruption Commission or the submission of the financial reports of political parties to the Audit Court - the report suggests two additional measures: The adoption a law regulating economic lobbying and the removal of repressive legal provisions from the Penal Code. The third difference with the previous report is the introduction of the idea of a “national economic dialogue”.

The main function of this dialogue is to start a process of reconciliation between the old and emerging economic elite. The report does not give any reasons why this dialogue should prove successful - many have not been – and there is also no clear idea about what kind of economic policies should be discussed in order to benefit Tunisia. In 2014, the government of Mehdi Jomaa tried to start a national debate about economic policies in order to build a consensus around the economic reforms, but this initiative did not come close to reaching this goal. Why would a new process, which includes more actors with widely diverging political and economic visions, be any more successful than Jomaa’s initiative? 

As mentioned earlier, the report views the current situation through the prism of an elite conflict. Yet even seen through the lens of conflict prevention and elite politics, the proposal of the national dialogue is optimistic. If conflictual/competing political actors were able to gather around the same table to talk about politics in 2013, this was mainly because of the context of the crisis that emerged after the assassination of the pan-Arabist MP Mohamed Brahmi a few months after the assassination of the leftist leader Chokri Belaid. The situation in 2017 is markedly different. Today, the political actors contesting the economic reconciliation law, protesting unemployment or even asking for a better sovereign management and redistribution of national wealth are informal activists groups with a horizontal organization or social movements with nonhierarchical network structures who are not competing with the ruling elite on formal political positions and who are not interested in classical consensus building.

Economically speaking, the authors of the report claim that national economic dialogue will “make the national economic competition more open and transparent”[6] to the newcomers from the interior region. In an open and competitive economy, the two elites would be able to synchronize their efforts and invest in funds dedicated to the development of interior regions. By presenting this recommendation, the report seems to ignore the fact that this formally coordinated decision to invest made by a collection of businesses is by definition the creation of a cartel. These collusive practices are made illegal by antitrust laws because they are anti-competitive. Moreover, the creation of cartels causes the malfunction of market economy mechanisms and is detrimental to consumers, increasing economic inequalities.[7] In addition, it is extremely to predict the behavior of investors, and the impact of the reconciliation, on the Tunisian economy, which is characterized by a large and growing underground sector. In short, the economic outputs of this national economic dialogue are incoherent, uncertain, and unpredictable.

The main problem of the ICG’s approach, however, is the banalization and normalization of corruption and financial criminality. It reduces corruption to its legal and political dimensions and ignores its moral and economic aspects. Seen as a moral issue by a large number of Tunisian, the corruption of the dominant political and economic elites has led to a pervasive loss of confidence in the system. The dangers of delegitimizing the post-revolutionary state in the eyes of many of its citizens should not be underestimated, especially if it tries to engage in economic reform. Creating a legal framework for “economic lobbying”[8] will give a legal cover for political corruption and prevent the construction of a trustable political system. The experiences of United States and the Europe Union in term of transparency of in public life and publication of information about the money invested by lobbyists has not solved the problem of corruption.

Moreover, if the existence of punitive measures for corrupt public officials has not deterred them from engaging in corruption, it is unclear how the removal of strong sanctions (suggested in the page 21 of the report) will change their behavior. And even if we limit ourselves to a legal dimension of corruption, the ICG recommendations are incompatible with the legal international order of which Tunisia is a part. By suggesting amnesty as a possible solution to the deadlock, the report overlooks the fact that this approach has already been tried (see for example the 2016 Financial Law) with little results.  A pardon for crimes committed in the past will not prevent the big bosses of transborder traffic to go back to the old illegal practices. Instead of following inefficient incentivizing approaches, the government should understand the many reasons that lead “parallel traders” to use different channels from traditional traders. Building new channels to facilitate the legal importation of goods should be seriously considered. One should also point out that any change in the regulatory structures around illegal trade will have to go hand in hand with the creation of economic alternatives for the people in the border regions.

It is true that many “parallel traders” in Tunisia’s borderlands use the crossborder traffic to earn dozens of dinars per day. Others are simple tradespeople who have no choice but to buy and sell goods on the “Souk Libya.” Thus, to throw these minor actors into the same category as bosses and barons would be a big strategic mistake. One group needs help, the other needs regulation. The real threat is coming from structured networks built by billionaires who are not even necessarily from the border regions. When Tunisians use the word “mafia,” it should not be understood as a metaphor but as a synonym for “organized criminal group”.

However, when Tunisians talk about the control of “the levers of the administration” by corrupt private economic actors, or describe the State as “eaten by mites,” they are referring to the illegality of the practices used by these organized crime groups to control State institutions in order gain power and make a profit. In a situation where organized crime networks infiltrate all state institutions (Ministry of Interior, customs duties, the judiciary system, etc.) and inhibit their capacity to regulate the economy and to impose the rule of law, corruption can no longer be tolerated. Indeed, it will have to be fought by other means than dialogue and forgiveness. We are not in the situation of traditional “State capture” for economic purposes where private economic actors manage to influence State action to maximize their economic profit. In the context of State re-formation and democracy building, the respect for the rule of law is crucial to limit “the action of legal and illegal organizations, which through illegitimate practices seek to systematically modify from within the political regime and influence the formation, modification, interpretation, and application of the rules of the game and public policies.”[9] Allowing billionaires who have accumulated wealth on the basis of organized criminality to formalize their competitive advantages and strengthen their control of political institutions echoes back to the practices of Tunisia`s old business elite. It thus repeats past mistakes. The result is the creation of legal challenges with respect to national and international laws on organized crime and the undermining of democracy building.

World Bank Checklist: Credit, deregulation, red tape ... 

The section of the report that discusses the “mechanics of exclusion” mirrors many of the issues that have been commonly raised by the World Bank and other international institutions. It describes the problems many Tunisians face in accessing credit, and discusses the excessive discretionary power of key figures in the administrative apparatus. Both are legitimate concerns, and areas where, as the report rightly points out, regulation has been used to limit access to the formal economic sphere. Calls for deregulation, and, as the report calls it, to “depoliticize the economy” in order to create a level playing field, thus appear intuitive.

However, these approaches are too quick to gloss over the legacies of accumulation and overlook the uneven playing fields created over the past decades. A less regulated economic environment will present new opportunities for those who are ready to seize them. It will also present enormous risks for those who are not equipped with these skills, especially in terms of gaining access to credit. In Southern Tunisia, the widespread hesitancy of many people in the region to engage with any kind of credit system needs to be taken into consideration. But even in countries like India or Bangladesh, where this is less of an issue, development experience shows that the effects on development of access to credit by itself have been hugely overstated.

Quite simply, not everyone is an entrepreneur, and not everyone has a business plan. 

But even entrepreneurs will need more than credit and the removal of regulatory barriers to succeed. For a generation of young Tunisians who not only lack access to credit and a working bureaucracy, but also lack the know-how, the virtual and physical infrastructure, the international connections, and the social capital needed to penetrate the networks of the economic elite, merely tearing down the barriers will not be sufficient. These individuals will need a ladder, in the form of massive state investments, and an economic infrastructure that creates jobs rather than asking people to create their own employment. These measures will need to address the specific challenges of the South - it will need an educational strategy for the high rate of young people who have quit school at an early age to join the contraband trade, and a strategy to overcome the specific challenges that women face entering the local private sector labor market. It will also require an enormous infrastructure strategy - recent experience in Morocco’s northern borderlands might provide a good example of the last point. The question is this: who in the grand elite bargain will represent these demands, and who will advocate for those who are far from power? Here, the dangers of the idea of a “depoliticized economy” begin to show. Rather than stopgap measures, a large economic transformation will be needed to help marginalized actors. This will necessarily be a political undertaking.

Given its large focus on the role of elites in Tunisian economic regulation, the report appears to be very optimistic about the ability of a reformed regulatory system to spread the benefits to the non-elites. And it offers no argument whatsoever for why the inclusion of new elites, be they from the South or anywhere else, into the ‘circle of 300’ should make this group more inclined to operate in a way that benefits the other 11 million members of the population. Again, this model is sorely missing a strong, regulatory – and political -  actor.

Conclusion 

As we have argued, the problem with the recent Crisis Group report on Tunisia lies in its simplistic interpretation of the current socio-political situation in Tunisia as the confrontation between two elites - one in the South, one in the North. The problem with its policy recommendations is that it does not present compelling arguments on what will relieve this fever. Instead, it places enormous faith in the healing power of a dialogue between actors which it perceives to be competing economically. The side effects of these recommendations, however, are substantial, and include the highly unpopular economic reconciliation law, an incoherent and counterproductive approach to fighting corruption, and the obligatory nod to deregulation.

In the same way that Youssef Chahed’s “War on Corruption” focuses only on the arrest of a group of corrupt traffickers, the recommendations of the ICG report leaves many root causes of Tunisia’s current malaise unaddressed: the lack of a comprehensive development strategy for the South and the interior regions, the need for economic and educational reforms, and the lack of a regulatory system that can compel economic elites play by the rules (rather than merely include new elites in a group that stands above the law). Addressing all these issues will necessarily be a deeply political process - so perhaps we should not be so quick to depoliticize the economy just yet.


[1] For a fitting example of this, the following article explicitly cites the crisis group report and its framework: http://www.lecourrierdelatlas.com/tunisie-corruption-vague-d-arrestations-une-guerre-contre-les-%C2%AB-nouveaux-riches-%C2%BB--8318

[2] For an English summary, and the full report in French, see here: https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/north-africa/tunisia/177-blocked-transition-corruption-and-regionalism-tunisia

[3] https://www.crisisgroup.org/who-we-are

[4] The quote is from page 7 of the report.

[5] For a detailed analysis of this chapter, see Hamza Meddeb, “Rente frontalière et injustice sociale” in Meddeb, Hibou and Tozy, “L’État d’injustice au Maghreb”, Karthala 2016

[6] See page 22 of the report

[7] To know more about cartels and their effects: https://link.springer.com/chapter/10.1007%2F978-981-10-2756-7_2

[8] Expression used in the page 21 of the report to talk about the influence of economic actors on decision makers.

[9] From State Capture towards the Co-opted State Reconfiguration: An Analytical Synthesis http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1410865